vendredi 22 juin 2007

La "Vague Bleue" aurait-elle fait déborder le vase ?

Faute d'actualité sportive cocoricoesque, la bonne vieille "vague bleue" a été recyclée pour les législatives 2007. L'idée originale est intéressante car la métaphore ne se borne pas à une simple image : elle nous propose un cadre conceptuel. Le domaine source (l'eau qui déferle) est projeté sur le domaine cible (les députés élus) sur la base d'une structure schématique commune : dans les deux cas, on a affaire à un phénomène de grande ampleur, autonome, que l'on ne peut arrêter. Les domaines se composent de zones activables, c'est à dire d'éléments que l'on peut mettre en valeur. En l'occurrence, l'importance est ici accordée au "bleu", couleur commune à l'océan (du moins à l'idée que nous nous en faisons) et à la droite. Au delà de la simple image, cette métaphore crée un cadre conceptuel (frame en anglais), dans lequel la vague, élément naturel, amène à la "chambre bleue", très prisée des surfeurs lorsqu'ils parviennent à réaliser un tube. Le problème, c'est que l'image du député UMP cadre mal avec celle du surfeur...

On a pu réaliser dimanche dernier à quel point une métaphore isolée peinait à créer ou entretenir un phénomène social, par essence émergent, donc difficilement prévisible. Ainsi, loin de rester chez lui à regarder pour la 372e fois French Connection (dixit les Inrocks), l'électeur s'en est allé voter, sans faire de vagues...

L'identité de l'inventeur de la "Vague Bleue" est mal connue (un journaliste de Libération, du Figaro, un conseiller en communication de l'UMP...). Malgré tout, la vague s'est propagée avec une facilité déconcertante dans tous types de médias, de gauche comme de droite, à tel point qu'on s'est demandé si la presse et la télévision n'allaient pas créer de toutes pièces un phénomène qui n'avait pas lieu d'être au départ.

A y regarder de près, derrière l'idée de vague et tout ce que cela suppose en termes d'harmonie esthétique se cache une réalité piégeuse. Cela n'a bien évidemment pas échappé à Hokusai lorsqu'il a peint sa célèbre vague de Kanagawa.


Le phénomène de vague scélérate est assez mal connu car rare. Et pourtant, il se produit. Phénomène redouté dans la marine, il a pris une forme inattendue dans l'hémicycle.


Leçon n°1
imposer un cadre conceptuel est une chose ; en maîtriser tous les aspects en est une autre.

Leçon n°2
il n'y a pas eu à proprement parler de "vague rose" ; pourquoi donc les dirigeants socialistes arboraient-ils le sourire des vainqueurs au soir d'une défaite électorale ? Dangereuse attitude car qui ne se remet pas en cause court le risque de disparaître de la scène politique.

Mais on le sait depuis longtemps : rares sont les politiques qui balaient devant leur porte.

le bleu en vogue

Les unes du journal L'Equipe (L'Epique pour les intimes) abondent en métaphores. Le XV de France sombre face aux All Blacks de Nouvelle Zélande, et c'est une "marée noire" qui se déverse le lendemain en première page du journal. A l'inverse, les Blacks n'ont que rarement été couverts de bleus.

Un match nul des footballeurs "au maillot frappé du coq" face à une obscure autocratie d'outre-Oural déclenche au choix un "Vague à l'âme" ou des "Bleus à l'âme". Une défense fébrile ? une attaque bien terne ? "Fastoche !" s'exclame le préposé aux gros titres: nous avons vu "des bleus bien pâles". Avouons-le, ces métaphores journalistiques dans le domaine du sport ne sont pas toutes heureuses, et deviennent vite agaçantes lorsqu'elles prennent la forme de raccourcis stylistiques prévisibles. Du défenseur 'attentiste' à l'attaquant 'réaliste', nul n'est à l'abri, pas même le linguiste pessimiste, ou le retraité alarmiste versé dans le "tout fout le camp".

A l'aube des années 80, le linguiste George Lakoff et le philosophe Mark Johnson ont montré qu'une métaphore était bien plus qu'une figure de style. C'est avant tout le produit d'un transfert conceptuel d'un domaine source (qui comprend le sens littéral de l’expression) à un domaine cible (qui précise le sens contextuel final de l’expression en question). Une métaphore peut ainsi prendre la forme LE DOMAINE CIBLE EST LE DOMAINE SOURCE. Par exemple, Il était tellement en colère qu'on sentait que ça bouillait à l'intérieur contient une métaphore du type LA COLERE EST UN FLUIDE CHAUFFE. Lorsque nous disons Elle refuse de cracher le morceau, nous projetons plus ou moins consciemment le domaine source de l'aliment sur le domaine cible du secret en ayant recours au schéma conventionnel EXPULSER UN ALIMENT PAR LA BOUCHE EST REVELER UN SECRET.

Ce processus, pourtant très fréquent, passe le plus souvent inaperçu car la plupart des métaphores finissent par devenir transparentes. Elle perdent alors la tension dynamique entre source concrète et cible conceptuelle qui les caractérise. Lorsqu'Amélie Mauresmo "valide son billet pour les quarts", le domaine source du voyage est bien loin et nul ne se représente plus vraiment la scène dans laquelle la joueuse de tennis introduit son billet Prem's dans la poinçonneuse jaune. Lorsqu'il ne reste "plus aucun Français en lice" à Roland Garros, les joutes chevaleresques sont bien loin.

Dupliquée ad nauseam, la métaphore transparente perd son statut de métaphore pour retomber dans la banalité de l'usage normatif. A force, c'est gavant.

lundi 11 juin 2007

Mes alliances, mésalliance

Bizarrement, les alliances politiques et militaires n'ont pas les mêmes résonances en France et à l'étranger. En ces nouveaux temps d'élections en France, il est de nouveau question d'alliances. En bon Mentor que je suis, je me propose de faire une petite promenade dans les annales de l'histoire... promenade sélective, bien entendu, en attendant d'avoir plus de temps pour analyser les choses de plus près. Les lecteurs (et lectrices) attentifs auront remarqué que quatre semaines se sont écoulées depuis le dernier message, et peuvent imaginer les aventures rocambolesques qui ont pu avoir lieu au cours de ce mois, entre une élection présidentielle, et des élections législatives.

Qu'est-ce donc qu'une alliance?

Du Peuple Élu au peuple élu

L'Alliance, c'est d'abord celle du Peuple Élu, lorsque Dieu scelle un pacte avec Abram, qui a alors 99 ans tout rond. Abrah devient Abraham, et Saraï, sa femme, devient Sara. Pour que la descendance d'Abraham n'oublie pas ce contrat à durée illimitée, l'alliance ne se porte pas au doigt, mais un peu plus bas: c'est la circoncision des mâles (Genèse 17). Il y a d'autres symboles de l'alliance, pour les plus romantiques (l'arc-en-ciel, notamment).

Passons.

L'Alliance, c'est celle aussi des puissances européennes contre Napoléon, en 1815. Littré dans son dictionnaire, donne ainsi comme 5e sens: "Confédéré. Les alliés gagnèrent la bataille de Leipzig sur l'empereur Napoléon." Ce que l'on appela la Sainte Alliance fut conclue au Congrès de Vienne. Son but: lutter contre la propagation de la révolution, pour retrouver une certaine stabilité politique à l'échelle européenne. L'Union Européenne version 0.3 (version 0.1: l'Empire Romain, version 0.2: Charlemagne)?

L'alliance désigne aussi le groupe de pays qui ont gagné la première, puis la deuxième guerre mondiale.

À partir de cette époque, le terme, lorsqu'il s'emploie à désigner des campagnes militaires, s'utilise, de facto, pour qualifier toute entreprise militaire auquelle sont associés... les États-Unis, pays au nom symbolique, et à l'histoire tout aussi empreinte de messianisme qu'Abraham. On parlait, dès le milieu du 19e siècle, de la "Destinée manifeste" des États-Unis, dans un cadre où le messianisme se mêlait au racisme triomphal d'un pays s'étendant toujours plus vers l'Ouest, au dépens des communautés indigènes.

Encore aujourd'hui, on parle de l'Alliance Atlantique, et l'on sait quel rôle jouent les États-Unis aujourd'hui dans le monde.

Du peuple élu aux élus du peuple

De l'autre côté de l'Atlantique, en Europe, plusieurs changements de régime se préparent, tout en douceur. En France, une majorité de droite se prépare à être remplacée par une majorité de droite, puisqu'à l'UMP va succéder... l'UMP à l'Assemblée Nationale. Attention! Ce n'est pas le même parti, puisque l'un était la "majorité présidentielle" d'un président, Jacques Chirac, auquel a succédé Nicolas Sarkozy. Nuance, preuve à l'appui:


Au Royaume-Uni, Tony Blair va volontairement quitter ses fonctions de Premier ministre le 27 juin, et être remplacé par son Chancelier de l'Échiquier et successeur auto-désigné (depuis presque 10 ans), Gordon Brown. Entre l'un et l'autre, les choses n'ont pas été toujours faciles. On disait de Tony Blair qu'il avait des élans messianiques, ce qui a expliqué son soutien sans faille à la politique américaine en Irak. On dit de Sarkozy qu'il est pro-Bush.

Inutile de tisser des parallèles à la hâte entre les dirigeants de ces deux pays longtemps ennemis, et de démêler tous les fils de réflexion lancés ici, à la hâte. Ce qui est intéressant, dans l'urgence qui est de mise, c'est de voir ce que fait l'opposition pour lutter contre une inévitable succession entre deux régimes identiques, en différent. Quelles alliances peuvent-ils élaborer pour devenir une opposition 'crédible'? Entre les socialistes français et le nouveau parti 'MoDem' de François Bayrou, alliance ou mésalliance?