mardi 24 avril 2007

Mélanges

Récemment, une campagne de publicité a opposé une grande marque d'eau minérale (Cristaline) à un puissant syndicat des eaux, le SEDIF. Alors que Cristaline cherche à opérer un distinguo entre eau de boisson (en bouteille) et eau courante (affublée de tous les maux), le SEDIF invite à faire la démarche inverse en mettant sur un même plan qualitatif eau de bouteille et eau du robinet. Les stratégies graphiques respectives sont éloquentes. Cristaline se place dans le domaine de l'exclusion et le marque iconiquement par une juxtaposition binaire : la cuvette des wc n'est pas une bouteille d'eau (clou que vient enfoncer la croix rouge, au cas où le message ne serait pas assez clair) et il ne viendrait jamais à l'idée de quiconque de boire l'eau des toilettes. Le SEDIF se place au contraire dans une stratégie intégrative : il convient d'assimiler eau en bouteille et eau du robinet. Dans les couloirs du métro parisien, il est actuellement impossible d'échapper à l'affiche représentant un robinet muni d'un bouchon de bouteille en guise de vanne.
Cet objet composite n'existe bien évidemment pas. Il intègre dans une seule et même représentation le corps d'un robinet tout à fait normal et le bouchon d'une bouteille en plastique classique. Le rapprochement est rendu possible par le fait que le même geste est requis pour ouvrir l'un et l'autre. Les affiches du SEDIF réalisent ce qu'en sciences cognitives il est convenu d'appeler un "blend", ou "intégration conceptuelle". Le "blend" consiste à faire interagir des espaces mentaux, c'est-à-dire des structures cognitives sises dans la représentation du locuteur et renfermant des éléments constitutifs de scénarios imaginés, perçus, remémorés, etc. Le "blend" est requis lorsqu'un amalgame sélectif est souhaité.
De l'eau à la dilution des frontières politiques il n'y a qu'un pas, vite franchi lorsqu'il s'agit d'aller à la pêche aux voix (du centre). Là encore, deux stratégies sont à l'oeuvre. Pour Ségolène Royal, l'appel du pied à l'électorat du centre se fait sur le mode de la simple juxtaposition : on s'affiche à côté de Jacques Delors, qui a les faveurs de M. Bayrou, et l'on évite de sourire.

L'habit de Mme Royal frappait jusqu'au premier tour par sa blancheur immaculée. On fut tenté d'y voir une référence à Mme Michelle Bachelet, présidente (centre-gauche) du Chili, soutenue par Mme Royal lors de l'élection en 2006. La tenue de la candidate socialiste allie à présent le blanc et le noir. Notez bien : pas de gris. Nul "blend" dans le jeu d'alliances au sein du PS ?













A l'UMP, le discours officiel est le suivant : pas de compromis avec l'UDF. Mais le code des couleurs a son importance. Avant le premier tour, le bleu domine. Au moment d'aborder le second tour, une touche de rouge orangé s'invite dans la charte graphique. Alors : "blend" ou pas "blend" ?
Les pro-Bayrou se poseront obligatoirement la question de l'accueil qui leur sera réservé dans la majorité présidentielle si l'UMP rafle la mise au second tour. Certains d'entre eux, issus de la gauche modérée, auront certainement gardé en mémoire les propos de François Mitterand (rapportés il est vrai par Michel Rocard) : « Il n'y a pas de Parti socialiste, il n'y a que les amis de François Mitterrand » (le Nouvel Observateur n° 2135). N'y aurait-il que des amis de Nicolas Sarkozy à l'UMP ? Comme on le sait, "tout devient possible"...


L'électorat mordra-t-il à l'appât du ralliement ? Ou pour le dire autrement : Will it blend?

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